Grossesse et Lupus Systémique

Le Lupus Systémique (LS) ou Lupus Erythémateux Disséminé (LED) est une maladie auto-immune chronique. Il résulte d’un dérèglement du système immunitaire responsable de la formation d’anticorps dirigés contre notre organisme, alors que leur rôle habituel est de le protéger contre des agressions extérieures comme les virus ou les bactéries. Les causes de ce dérèglement sont inconnues mais sont probablement multiples, issues de l’interaction entre un terrain génétique favorisant, des facteurs de l’environnement comme les ultraviolets et de facteurs hormonaux comme les oestrogènes. Ce facteur hormonal explique pourquoi le lupus est diagnostiqué majoritairement chez les femmes, principalement en âge de procréer. Ceci explique également que la grossesse puisse être responsable d’une poussée de la maladie et que la contraception orale à base d’oestrogènes soit déconseillée. Cependant, de nombreuses femmes lupiques peuvent mener une grossesse à terme et avoir un enfant en bonne santé si cette grossesse est programmée et prise en charge par une équipe spécialisée.

La fertilité au cours du LS

En général, les patientes atteintes d’un LS n’ont pas de difficulté à être enceinte. Une diminution de la fertilité peut être observée lorsque le lupus est actif mais comme nous le verrons plus tard, la mise en route d’une grossesse n’est pas conseillée dans ces conditions.

une ménopause peut parfois survenir plus précocement chez certaines femmes ayant reçu de fortes doses de cyclophosphamide (médicament indispensable au traitement de certaines formes graves de lupus, entre autre utilisé au cours des atteintes rénale et neurologique). Une mise au repos des ovaires peut être induite par certains médicaments pour diminuer ce risque. Les patientes gardant une altération de la fonction rénale séquellaire d’une poussée rénale antérieure (appelée insuffisance rénale chronique) peuvent également avoir une diminution de leur fertilité.

Pourquoi la programmation d’une grossesse est-elle nécessaire ?

Comme nous l’avons écrit plus haut, les oestrogènes peuvent influencer l’évolution du LS. La grossesse est un état physiologique où la sécrétion d’oestrogènes est très augmentée. Il s’agit donc d’une période de la vie à risuqe pour une poussée du lupus. Toutefois, il a été démontré que si la grossesse survient lorsque le lupus est stable, le risque de poussée du lupus ou de complications de la grossesse est faible. Inversement, le risque de poussée ou de complications est important si la grossesse survient pendant une période d’activité du lupus. Il est donc indispensable que tout projet de grossesse soit discuté avec le médecin afin d’en évaluer la période optimale pour augmenter les chances de vivre une grossesse heureuse, celle-ci doit être soigneusement préparée.

Idéalement, l’organisation de la surveillance de la grossesse et les éventuelles modifications thérapeutiques sont réalisées lors d’une consultation appelée consultation préconceptionnelle. Dans certains cas, le médecin peut déconseiller une grossesse. Ceci peut être transitoire (poussée lupique récente, traitement par médicaments responsables de malformations) ou définitif (atteinte sévère d’une valve cardiaque, insuffisance rénale sévère séquellaire d’une poussée antérieure par exemple). Une autre façon d’être parents doit alors être envisagée, comme l’adoption…..

Quels sont les risques de complications de la grossesse ?

Le risque de rencontrer des difficultés lors d’une grossesse est réel et peut concerner à la fois la mère et le bébé. Les complications ne sont pas systématiques mais nécessitent une surveillance accrue de la grossesse par des équipes multidisciplinaires entraînées. Il est extrêmement important que l’obstétricien soit expérimenté dans la prise en charge des grossesses à hauts risques. Les poussées du lupus au cours d’une grossesse sont en général peu sévères, facilement traitables avec de petites doses de corticoïdes.

le lupus peut égelement favoriser le risque d’une naissance prématurée (c’est-à-dire avant la 38eme semaine d’aménorrhée) ou d’un petit poids de naissance. Une hypertension artérielle associée àune fuite urinaire de protéines (ce syndrome s’appelle une pré-éclampsie) peut survenir en fin de grossesse. Le déclenchement de l’accouchement est en général prévu aux alentours de la 38eme semaine d’aménorrhée afin d’éviter ce type de complications.

D’autres critères doivent être pris en compte selon le type d’anticorps présents :

  • Il existe une biologie antiphospholipide

La présence d’un anticoagulant circulant de type lupique (appelé également antiprothrombinase), d’anticorps anticardiolipides ou d’anticorps B2GP1 peut être responsable de thrombose. Il est nécessaire de confirmer la présence de ces anticorps sur deux prélèvements espacés de douze semaines pour affirmer leur existence. L’association de ces anticorps à une thrombose ou à un évènement obstétrical antérieur (comme trois fausses couches consécutives , une mort foetale ou une naissance prématurée avant la 24eme semaine d’aménorrhée liée à un défaut de perfusion du placenta) signe le diagnostic de syndrome des antiphospholipides.

Dès la conception, ces anticorps inhibent la formation normale du placenta puis des caillots peuvent se former dans les vaisseaux de ce dernier, empêchant le bon fonctionnement des échanges entre la mère et le foetus. La recherche de ces anticorps est donc indispensable avant le début de la grossesse. Ceux-ci peuvent être responsables de fausses couches précoces ou de mort foetale, de naissance prématurée ou de petit poids de naissance. Des complications peuvent également survenir chez la mère comme la pré-éclampsie ou une thrombose.

En présence de ce type d’anticorps, un traitement par aspirine parfois associé à des injections d’héprine une à deux fois par jour permet d’éviter la formation de ces caillots et diminuent donc le risque de complications liés à ces anticorps. Leur action étant très précoce, le traitement doit être instauré le plus tôt possible, notammenent l’aspirine qui est également débuté lors de la consultation préconceptionnelle. Le risque de complications maternelles persiste dans les six semaines suivant l’accouchement expliquant le maintien du traitement pendant cette période.    

  • Il existe un anticorps antiSSA/Ro et/ou antiSSB/La

Le lupus néonatal est une complication liée à la présence d’anticorps anti SSa/Ro ou antiSSb/La chez la mère. Ces anticorps peuvent affecter le foetus ou le nouveau-né en passant la barrière naturelle placentaire de la mère vers l’enfant. Ils peuvent être responsables d’un ralentissement de la conduction électrique du coeur foetal (appelé bloc auriculoventriculaire congénital), d’une éruption cutanée chez le nouveau-né (qui ressemble aux lésions du lupus cutané, d’où son nom) et plus rarement d’une perturbation du bilan hépatique ou de troubles neurologiques.

En dehors de l’atteinte cardiaque, les manifestations du lupus néonatal disparaissent dans les six mois suivant la naissance (lorsque les anticorps maternels disparaissent de la circulation foetale). Le bloc auriculoventriculairecongénital persiste et peut rendre nécessaire dans les premières semaines après la naissance la pose d’un pacemaker pour stimuler la conduction cardiaque. Ce risque de ralentissement de la conduction électrique du coeur est faible : 1% des enfants de mère porteuses des anticorps. Il augmente entre 15 et 20% lorsque la mère a déjà eu un enfant atteint de ce trouble de la conduction.

Leur présence justifie une surveillance rapprochée du rythme du coeur du foetus par échographie et un électrocardiogramme du bébé à sa naissance. Elle impose également l’utilisation d’une photoprotection efficace pendant la première année de vie de l’enfant.

Les médicaments et la grossesse

L’hydroxychloroquine ne doit plus être arrêté pendant la grossesse. Les études montrant une augmentation du risque de poussée du lupus au cours de la grossesse ont été réalisées dans la majorité des cas lorsque l’hydroxychloroquine était arrêtéeau début de celle-ci. L’augmentation du risque de poussée était alors en partie expliquée par l’interruption de cette thérapeutique.

Certains médicaments et certains immunosuppresseurs sont contre indiqués au cours de la grossesse car responsables de malformations du foetus, c’est le cas par exemple du méthotrexate ou du cyclophosphamide. Ceci explique encore l’importance de l’organisation de la grossesse avec le médecin qui peut conseiller de la reporter de quelques mois soit envisager un changement de traitement. d’autres immunosuppresseurs sont par contre autorisés comme l’azathioprine ou la ciclosporine.

Les corticoïdes à fortes doses (dose évaluée à plus de la moitié du poids de la patiente) sont un motif pour différer la grossesse, l’utilisation de telles doses reflétant une activité du lupus. D’autres traitements comme les biphosphonates (donnés en cas d’ostéoporose), les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (donnés lorsqu’il existe une fuite de protéines dans les urines séquellaire d’une poussée rénale antérieure) doivent également être arrêtés avant ou au tout début de la grossesse. Les antivitamines K (utilisés pour fluidifier le sang) au cours d’un syndrome des antiphospholipides par exemple doivent être remplacés par deux injections d’héparine dès le diagnostic de la grossesse.

Comment surveille-t-on la grossesse ?

La surveillance est réalisée en collaboration étroite par un médecin référent du lupus et un obstétricien entraîné à cette prise en charge. Elle nécessite une consultation mensuelle dans un premier temps puis plus rapprochée tous les quinze jours voir une fois par semaine au cours du troisième trimestre selon les antécédents et le déroulement de la grossesse. Il peut être difficile de faire la différence entre des modifications physiologiques liées à la grossesse et des symptômes liés au lupus.

Certains symptômes peuvent être cause de confusion, par exemple :

  • La peau, pendant la grossesse, les paumes des mains peuvent être rouges et être associées à une éruption cutanée sur les pommettes appelée masque de grossesse. Il s’agit de modifications physiologiques sans aucun caractère pathologique. Le lupus peut également provoquer une éruption cutanée localisée aux mêmes endroits. Cette éruption est appelée vespertilio, masque de loup ou érythème malaire.
  • Les articulations, le lupus peut provoquer des douleurs articulaires voire des gonflements des articulations. La grossesse peut également être responsable de douleurs dans les articulations mais il n’y a dans ce cas pas de gonflement. De même un syndrome du canal carpien ou une accélération de la chute des cheveux peuvent être observés aussi bien au cours de la grossesse qu’au cours d’une poussée lupique.
  • La survenue d’oedèmes, c’est-à-dire d’un gonflement des jambes, peut être observée à la fin de toute grossesse, sans que cela témoigne d’une anomalie. Cependant, s’il apparaît de tels symptômes associés à une prise rapide de poids, il est nécessaire de consulter un médecin rapidement pour un conntrôle de la pression artérielle.

La consultation est habituellement associée à un prélèvement sanguin et des urines à la recherche de signes d’activité du lupus.

En plus des trois échographies trimestrielles recommandées en France, un doppler des artères utérines et de l’artère ombilicale est réalisé à la 20eme semaine d’aménorrhée à la recherche d’anomalies prédictives de complications et donc du devenir ultérieur de la grossesse.

En cas d’anticorps antiSSA ou antiSSB, une échographie du coeur du foetus sera réalisée entre la 16eme et la 26eme semaine d’aménorrhée (tous les 15 jours voire toutes les semaines en cas d’antécédents de bloc auriculoventriculaire dans la fratrie).

Où doit-on accoucher ?

L’accouchement doit être prévu dans un hôpital qui peut accueillir des patientes à hauts risques et fournir les soins spécialisés pour la mère et l’enfant. Il est généralement déclenché aux alentours de la 38eme semaine d’aménorrhée, par voie basse. Une césarienne peut être recommandée selon la situation.

Peut-on prévoir une péridurale ?

La péridurale peut être réalisée si le chiffre de plaquettes est supérieur à 80000/mmet si le bilan biologique montre une activité anticoagulante peu importante de la dernière injection d’héparine. L’aspirine n’est pas une contre-indication à la réalisation de la péridurale mais pourra être arrêtée quelques jours avant la date présumée de l’accouchement après discussion entre le médecin référent du lupus, l’obstétricien et l’anesthésiste. La durée de l’arrêt de l’anticoagulation sera déterminée selon les antécédents et le type d’anticorps.

Peut-on allaiter ?

Allaiter est possible à condition que la mère ne prenne pas de médicaments contre-indiqués. La prise d’hydroxychloroquine, de petites doses de corticoïdes, d’aspirine ou l’utilisation d’héparine est autorisée. Il est donc important d’aborder le sujet de l’allaitement avec le médecin avant l’accouchement.

Conclusion

La prise en charge de la grossesse chez une femme lupique s’est nettement améliorée ces dernières années. Actuellement, les grossesses se passent dans la plupart des cas sans difficulté à condition de programmer la grossesse, de surveiller son bon déroulement de façon rapprochée et de suivre au mieux la ou les prescriptions remises. Il s’agitd’une des missions des centres de compétences pour les maladies systémiques et auto-immunes rares de l’adulte. Aujourd’hui, la plupart des femmes qui ont un lupus peuvent envisager une grossesse en toute sécurité. Avec des soins médicaux appropriés, les risques associés au lupus sont diminués et permettent de donner vie à un bébé normal et en bonne santé. Il convient donc de préparer parfaitement cette grossesse et de suivre toutes les étapes nécessaires afin d’en assurer un dénouement heureux..

Dr Gaëlle Guettrot-Imbert

Service de Médecine Interne CHU de Clermont Ferrand

Hôpital Gabriel MONTPIED